ft briony.
18 JUILLET, 14H30.

La première véritable journée de jeu s'était résumée en grande partie comme journée visite. Réveillé par du bruit dans le couloir vers onze heures et demi, c'est-à-dire relativement tôt pour le paresseux qu'il était, Pablo avait décidé d'utiliser cette journée pour se familiariser avec les gens et les lieux. Bref, après une douche, il avait pris son déjeuner avec les quelques personnes qui étaient également en train de manger, puis s'était mis en quête d'examiner le yacht de fond en comble. Lors de cette première soirée, il n'avait pu voir que le mistral, qui servait donc de discothèque, ainsi que sa cabine, qu'il partageait avec Hassan. Il avait par ailleurs constaté qu'il avait hérité d'une chambre à deux, là où d'autres étaient à trois. Privilège ? Pas sûr. Il attendait d'apprendre à connaître son colocataire, ainsi que les raisons de ce choix avant de se faire une idée. Après avoir fait le tour du propriétaire à l'intérieur, Pablo retourna vers l'arrière du paquebot et déboula sur ce qui faisait office de terrasse. En s'approchant du bord, observant l'immensité de la mer, il ne put s'empêcher de plaindre les personnes ayant le mal de mer. Un bruit dans son dos lui fit tourner la tête. Il aperçut Briony, qui s'était assise sur l'un des transat qui ornait l'endroit. « Promets-moi de pas me jeter par-dessus bord, même si je t'énerve » lui lança-t-il avec un petit sourire espiègle. Il s'arracha à sa vision de l'eau, et s'approcha d'elle. « Bonne première nuit ? » Certes, cela ne faisait que quelques heures que Pablo connaissait la jeune femme, mais il ne parvenait pas à se faire une opinion sur elle.

Visiblement, Briony n'escomptait pas être dérangée pendant qu'elle se prélassait sous le soleil méditerranéen. Tant pis. Elle supporterait la compagnie de Pablo. De toute façon, autant faire connaissance les uns avec les autres dès le début. « M'en parle pas. Je crois bien que le gars avec qui je partage ma cabine a des vues sur moi. » Inutile de répondre sèchement maintenant. Ça n'amènerait à rien de bon. Il plaisantait, évidemment. Encore que. Qu'elle pense réellement qu'il puisse être attiré par les hommes l'indifférait profondément. Il l'avait d'emblée dit, en le précisant dans son casting, il n'était pas là pour trouver son âme sœur, son alter ego, l'amour avec un grand A. Alors à quoi bon essayer de la convaincre du contraire ? Il savait qui il était, ses proches le savaient, ses élèves également. Il eut un vague sourire en pensant à eux. Il était persuadé que tous ceux qui l'avaient mis au défi de participer à l'émission étaient collés à leur écran, et il ne doutait pas qu'en les retrouvant à la rentrée, il les retrouve blancs comme des cachets d'aspirine. « Parfait. Ça fait du bien d'avoir des draps faits, pour une fois. » Vrai. Pablo n'était vraiment pas du genre ordonné et maniaque. Ses affaires traînaient partout, les polycopiés de ses cours étaient éparpillés dans tout son appartement, une véritable garçonnière de quasi-trentenaire célibataire. « Mais qu'est-ce que c'est que cette conversation débile ? » En secouant la tête d'un air faussement navré, il se mouva jusqu'au fauteuil voisin de celui de Briony, et s'assit dessus, jambes tendues et chevilles croisées, appuyé sur ses mains. « Dis-moi, tu estimes vraiment possible de trouver l'homme de tes rêves ici ? » la questionna-t-il avec curiosité. Pas que ça ne collait pas au personnage, mais il avait du mal à comprendre comment on pouvait imaginer trouver LA personne en étant seul avec une vingtaine d'individus plutôt qu'en parcourant le monde et en découvrant sans cesse de nouvelles personnalités.

« Non » répondit-il du tac au tac. Certes, il n'était pas objectif, puisque les relations pures et sincères ne l'intéressaient pas, ni en amitié, ni en amour. N'empêche que le raisonnement post-casting qu'il avait ficelé tenait la route, vu sous un certain angle. « Lorsque l'on vit avec les mêmes personnes vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, pendant un certain temps, les sentiments se développent d'une façon totalement différente qu'ils ne le feraient dans la vie réelle. Plus vite, peut-être plus fort. Mais les sentiments font partie d'un tout qu'on appelle la vie. Et la vie n'est pas rythmée que par cet unique facteur, tout le reste - l'entourage, le boulot, des événements - entrent en ligne de compte. On peut dire que ce genre de circonstances, ce genre d'émission, rapprochent, justement, et si je suis plutôt d'accord pour les relations amicales, je doute que ce soit le cas pour l'amour. » Il arrêta enfin de parler, respirant calmement, quelque peu plongé dans ses pensées. Il s'étonna lui-même de ce discours. Hormis lorsqu'il vomissait des analyses de livres ou de pièces de théâtre, ou même de poèmes, il n'avait pas pour habitude de parler autant. Il sourit de son propre monologue. « Ça ferait vingt-cinq dollars pour la consultation » ironisa-t-il. Machinalement, il baissa légèrement la tête vers un pan de sa chemise et du bout des doigts, il se mit à jouer avec l'un des boutons du vêtement.