Et cette machine dans ma tête, machine sourde et tempête ☇ 26/07, 16h10

ft. marilou.
26 JUILLET, 16H10.

« Viens, on va visiter. » Ce n'était pas un ordre, ni même une demande, sa voix était neutre. D'ailleurs, Pablo ne prit même la peine de vérifier si Marilou l'avait suivit ou non. En tout cas, lui, désirait sortir un peu de ce bateau qui, aussi grand qu'il fût, ne parvenait pas à combler son besoin d'espace. Le Capitaine avait annoncé à l'ensemble des passagers qu'ils avaient fait escale à Naples. Une ville qui l'attirait assez. Étant originaire d'Italie, il se faisait toujours une joie de mettre pieds sur la terre qui l'avait accueilli lorsqu'il était gamin. Alors autant joindre l'utile à l'agréable en allant se promener loin de ce bateau de malheur. Les mains fourrées dans les poches de son jean, Pablo jeta un regard par-dessus son épaule et constata avec satisfaction que la jeune femme marchait près de lui. Il n'avait pas envie de passer la fin d'après-midi seul, alors il avait parcouru le yacht à la recherche de la première personne connue qu'il croiserait. Ça avait été Marilou. Pas le choix qui lui serait spontanément venu à l'esprit, mais tant pis. Pour s'être déjà frotté à la jeune femme, il savait que sa compagnie ne serait pas ennuyeuse. « Tu sais comment je m'appelle ? » lui lança-t-il avec un sourire amusé.

C’est drôle, comme les gens sont. Genre, je suis tranquille, je demande rien à personne, et on ose, oui, on ose me déranger dans mes pensées. Je vous jure, aucun respect. En plus, c’est un « viens, on va visiter. » Et me tourne vers le type qui m’a dit ça. Quoi, c’est un nom de code pour « j’ai envie de coucher avec toi » ce truc ? En plus, il part déjà. Il me parlait à moi, au moins ? Oh puis zut. J’obéis, sagement, et je marche derrière lui. Je sors du bateau. Ah oui, on est plus en France. Tant mieux. Je n’aime pas les français. Tous des cons. On est en Italie. Je n’aime pas les italiens. Tous des cons aussi. Et là aussi, je ne parle pas un mot de la langue, donc, je ne comprends rien. Naples. C’est ce qu’on visite. Pedro, Diego, quelque chose en O marche si bien que je me demande s’il me parlait vraiment à moi. Tsais, je l’imagine se retourner, et faire un « mais qu’est-ce que tu me suis toi ? » Ahah. J’aurai l’air conne. Et ce ne serait pas la première fois. Je ne préfère rien dire. On ne sait jamais. Et, finalement, c’est lui qui engage la conversation. Son nom. Oui, bah non, je l’ignore. Personnellement, je l’appelle Pedro dans ma tête, mais la rousse l’avait appelé Diego. Mais c’est moche, Diego. Pedro aussi, faut dire. Sinon, je l’appelle « monsieur le psychopathe qui regarde les filles dormir ». Mais c’est un peu long, comme nom. Enfin, surnom, dans ce cas. Je fais mine de réfléchir. «]Pedro ! Non ? Ou Diego. Ou Aldo. Ou Carlo. Non, pas Carlo. Je l’aurai retenu sinon, c’est comme le calamar dans Bob l’éponge. » Il a pas l’air de vouloir m’aider à trouver son nom en plus. « Paulo ? Ah non. Non. Teo peut-être ? » Oui, bon, ils finissent tous par « o ». Oh, puis de toutes façons, je doute sérieusement qu’il sache mon prénom, mise part « gary » hein. Autant s’en assurer. « Et toi, tu sais comment je m’appelle, moi ? » Je suis sûre que non. Pitié, qu’il ne le sache pas, parce que ce serait louche quand même, qu’il sache mon prénom, alors que moi, je ne connais pas le sien. Ça voudrait dire qu’en plus d’être un psychopathe qui mate les filles roupiller, il se renseigne aussi sur elles. Douteux.

Le vent napolitain, agréablement chaud, lui fouettait gentiment le visage, rendant fous ses cheveux. Il n'y prêtait pas attention, trop occupé à dévorer du regard tous les éléments du paysage devant lesquels ils passaient. Jusqu'à ses sept ans, il avait vécut en Italie, et s'il n'en gardait pas énormément de souvenirs, si cette période de sa vie ne lui manquait pas, il était toujours heureux d'y revenir, bien que ce soit à Florence qu'il ait passé son enfance. Bref, il l'écouta sans vraiment réagir. Il savait pertinemment qu'elle ne connaissait pas son identité - faut dire qu'après leur entrevue avec Briony, ça aurait été un miracle qu'elle le sache. Il tourna la tête vers elle. « Mais bien sûr. Marilou. » Une esquisse de sourire ironique flottait sur ses lèvres. Le jeune professeur, après plus d'une semaine, avait terminé d'apprendre les noms de tous les candidats. Dès le départ, ça n'avait pas été d'une grande difficulté en soi, mais certains avaient tout de même refusé de s'imprimer dans son esprit. C'était maintenant chose faite. « Et pour te répondre... Non. Non. Non. Non. Non. Et non ! J'ai vraiment une tête à porter des prénoms aussi laids ? » Aldo ? Carlo ? Non mais quelle horreur.

Et merde. Il connait mon prénom. Où, quoi, comment, par qui, pourquoi ? Je m’emballe un peu pour rien. Mais je commence à me dire que je dois être la seule candidate à ne pas avoir révisé tous les soirs les prénoms des candidats. Ou alors, ils sont foutrement doués et ont une mémoire d’éléphant. Injustice. Pourquoi je n’ai pas de mémoire d’éléphant moi ? Hein ? Pourquoi je ne suis pas foutue de retenir une vingtaine de prénoms ? C’est dommage tiens. Je suis sûre que ça m’aurait était bien utile dans mon passé. Je ne sais pas encore en quoi, mais j’en suis persuadée. Je trouverai bien une raison d’ici ce soir. Sinon, j’abandonne hein, ça voudrait dire que c’est un don pourri de savoir se rappeler des noms. Aucun de mes noms n’est correct. Je le sais très bien, qu’il ne s’appelle pas comme ça. J’ai aucune idée de comment il s’appelle. Oh et puis je m’en fiche. Ce sera Pedro, et puis voilà. « T’as une tête à t’appeler Pedro, c’est tout. Ce n’est pas méchant hein. C’est vrai que Pedro, c’est moche, mais je peux rien y faire. » Attention, ça voulait pas dire que Pedro, il est moche hein, non, il est plutôt joli garçon même. Mais il a juste une tête à s’appeler Pedro. Oh puis ce n’est pas si méchant. Pedro, ça fait genre « je suis un pompier super sexy venant tout droit d’Espagne ». On continue de marcher. Pour aller où ? Je ne sais pas. C’est le coup, il m’attire dans un truc louche. Genre, on va finir dans une ruelle sombre, et demain, dans les informations, on verra un peu partout « une candidate d’un jeu de télé-réalité retrouvée morte, assassinée. » Faut que j’arrête d’assimilé Pedro à un psychopathe quand même. Parce qu’à force, je vais devenir parano, et je le penserai vraiment psychopathe. Et ces gens-là, vous savez, c’est comme les chiens, ça sent la peur. Et squick, plus d’Marilou. Enfin. Non, pour de vrai, il n’a pas l’air méchant le gars hein. Sauf si c’est une tactique de confiance pour ensuite me charcuter. Mais je ne pense pas. « Bon, bah autant faire connaissance Pedro. Dis-moi, c’est toi ta pire histoire d’amour ? » Bah ouais, vu qu’on est dans une émission basée sur l’amour, autant parler de ça.

Toujours ils marchaient, en balade sur la si célèbre baie de Naples. Si tristement célèbre, pour lui. Malgré les années qui avaient passées entre temps, il se souvenait encore de ses cours de latin de l'époque. Son professeur, véritable fou, se prenait au jeu et, plus que de leur enseigner la langue, leur refaisait les cours d'histoire de l'Antiquité. Le passage sur l'éruption du Vésuve, réduisant la ville de Pompéi à l'état de souvenir, lui revint en mémoire. D'ici, il pouvait apercevoir la forme du volcan, un peu plus loin. Il ignorait si Marilou était derrière ou à côté de lui, trop occupé à tourner la tête de l'autre côté, pour admirer la vue. « Le truc bien, c'est que je suis sûr que tu ne me nomineras jamais. » Un sourire effronté passa sur son visage. Bien sûr, c'était faux. Il suffisait qu'elle demande son prénom à quelqu'un le connaissant pour mettre à exécution ses plans. Mais pour l'instant, autant laisser planer le mystère. Un ange passa, jusqu'à ce que la jeune femme ne reprenne la parole. Même pas besoin de réfléchir. « La pire ? C'était il y a trois ans, environ. Je suis restée avec la femme en question quelques mois, et ça a suffit pour qu'elle me transforme en junkie. » Il fronça les sourcils, en se remémorant brièvement son histoire avec Ally. Il y avait tellement plus que ça. Tellement plus... Sauf qu'il ne pouvait le dire tout haut. Chopé en plein traffic. Prison pendant un an. Chantage. Documents trafiqués. Cette période de sa vie était digne d'une série, mais c'était également une période qu'il voulait à tout prix oublier. Il n'avait encore ne serait-ce qu'insinuer la possibilité qu'il puisse avoir un passé trouble à aucun des passagers du yacht. Si ces paroles venaient à être entendues par les personnes qui ne fallait pas, c'en était finit de sa carrière dans l'enseignement. Il ne pouvait courir le risque. « Quel est le truc le plus honteux que t'aies jamais fais avec ou face à ton ou ta copine ? » demanda-t-il à son tour, en repensant à l'un de ses amis qui lui avait raconté piteusement avoir fait le triplé malgré pendant l'amour - par la bouche, l'anus, et la queue - pas besoin de se rappeler les détails.

« Oh, t’inquiètes pas, je suis persuadée que le Capitaine t’appelles aussi Pedro, dans sa tête. » Oui, bon, peut-être pas non plus. Ce serait drôle tiens. Mon dieu, Pedro est donc un ancien drogué. Je ne m’en doutais pas une seule seconde. En même temps, c’est rarement écrit sur le front, c’est vrai. « C’est drôle tiens, j’étais avec un drogué, à un moment. Sauf que je l’aimais bien seulement quand il était défoncé. Je crois que j’ai encore des traces de rail de coke qu’il se faisait sur ma table de nuit. » Anecdote inutile, mais bon. Ce type-là était impassible et taciturne quand il était « normal », alors qu’il était beaucoup plus surprenant défoncé. Mais, les drogués, tout ça, ce n’est pas tellement mon rayon. Et, dieu merci, il ne m’a pas refilé sa connerie. Yurk. Non, décidément, non, je ne m’imagine pas transformer mon nez en aspirateur, ma bouche en gobe-pilules-pas-nets, ni je ne compte pas non plus me convertir en fumeuse de joins. Je préfère nettement être plus ou moins consciente de mes actes, et ne pas être accro à quelque chose. Y’a rien de plus chiant que d’être dépendant. Que ce soit d’une chose ou d’une personne hein. Et, il me pose une question à son tour. Je reste silencieuse une dizaine de secondes. Ce n’est pas que j’ai un truc honteux à raconter, mais que je n’ose pas, pas du tout. C’est que je cherche un truc à raconter. Ouais, bon, je dois bien avoir fait des trucs « honteux », sans doute hein. Mais c’est que rien ne me viens à la tête, là, tout de suite. « Rooh, mais elle est nulle ta question. T’as pas autre chose à me proposer ? »

C'était drôle ? En quoi être dépendant, ne plus avoir aucune emprise sur son esprit et son corps, en quoi se bousiller la santé, en quoi être entraîné dans une spirale sans fin, être prisonnier de soi-même, et en quoi en être témoin était drôle, exactement ? Il faillit la rabrouer, mais se retint à grand peine, pas certain cependant qu'une grimace ne soit pas passée sur ses traits à ses paroles. Pas qu'il avait du mal avec les gens qui parlaient de ce genre de sujet avec autant de nonchalance que Marilou. Non, au contraire, c'était ceux qui pensaient ça tabou qui le gênaient. Si on en parlait pas, ce serait encore pire. Ça s'envenimerait, et plus personne ne pourrait en parler avec un minimum de recul que pour pouvoir aider ceux qui en avaient besoin, comme lui en avait eu besoin. Cependant, qu'elle puisse raconter cette anecdote sur elle de cette façon... À croire qu'elle n'en avait rien à faire, qu'elle était hermétique à la détresse de son ancien ami. Enfin, peut-être était-il parfaitement heureux comme il était, et qu'il n'avait absolument pas envie qu'elle s'en préoccupe. Comme on dit, le premier pas vers la guérison est de reconnaître que l'on a un problème. Bref, elle finit par reprendre la parole. « Non ! T'as lancé le sujet, tu assumes sans te plaindre ! » répondit-il joyeusement, un sourire impitoyable sur les lèvres. « À moins que ce soit une façon détournée de me dire que tu es toujours restée dans les limites du politiquement correct ? » la charia-t-il alors, avant de rigoler. Il la regarda un bref instant. Non, impossible qu'elle soit une de ces filles bien sages.

Dans le genre « je pourris brièvement l’atmosphère », je dois être gagnante hein. Je raconte ça comme si je le racontais à n’importe qui. Alors qu’il vient de me dire qu’il en était un, un drogué. Et j’imagine que ça n’a pas dû être bien facile pour s’en sortir. Je me demande si mon ex s’en est sorti lui. Au pire, je m’en moque. Ce n’est plus mes affaires. Comme chante Megara dans Hercules, « c’est de l’histoire ancienne, je jette, j’enchaîne. » Oui, j’ai des références chez les disney. Et puis, ce type-là, il ne voulait pas s’en sortir. Et je n’allais pas forcer quelqu’un à faire quelque chose contre sa volonté. Même pour son bien. Rien qu’à voir le comportement qu’il a adopté quand je lui ai demandé une question plus ou moins innocente, pourquoi. Pourquoi il se bousillait comme ça. Je n’ai jamais eu la réponse. Ce n’est plus important, de toutes manières. Bref, j’ai terriblement manqué de tact avec Pedro, mais c’est trop tard. Et je ne compte pas revenir sur le sujet. Premièrement, je doute qu’il ait vraiment envie d’en parler avec une inconnue. Et quand bien même, je ne suis pas la bonne inconnue, si jamais. J’ai horreur de parler de mauvaises choses, de mes problèmes, et des problèmes des autres. Je ne sais pas écouter, conseiller et consoler. Ce n’est pas dans mes cordes. Et puis, je ne suis pas mère Theresa non plus hein, ni un psy, donc ce n’est pas non plus mon rôle. Oh merde, je dois répondre à sa question à la con. Alors, je me remets à réfléchir. Trouver quelque chose de potentiellement honteux. « À moins que ce soit une façon détournée de me dire que tu es toujours restée dans les limites du politiquement correct ? » Mine de rien, mes rires se joignent aux siens. « Tout à fait. J’ai décidé de rester vierge jusqu’au mariage. Je me trompe ou ça a l’air de te surprendre ? » Ouais, bon, c’est faux hein. Ce serait trop tard pour décider ça. Et je ne veux pas entendre de « mais il est jamais trop taaard ! » je suis désolée mais je vois mal comment « redevenir » vierge hein. « Mmm, elle est difficile ta question surtout. Ca dépend ce que t’entends par là. Je ne sais pas trop. Une sex-tape diffusée sur internet que tous mes proches ont pu voir ? » Ouais, ça, c’est potentiellement honteux. C’était avec un mec, pas très fiable, apparemment. Mais ne vous inquiétez pas hein, j’ai réussi à me venger quelques mois après, avec un peu (beaucoup) d’alcool et un mensonge, comme quoi, mon fantasme était de le voir déguisé en catwoman. Ouais, une fille, déguisée en catwoman, c’est sexy hein. Mais un mec, c’est pas mal drôle. Enfin, bref. Après, à voir si ça rentrait dans ce que demande Pedro. Ca, aucune idée. « Nombre de tes relations plus ou moins sérieuses ? »