ft. rosaly.
19 JUILLET, 11H25.

Pablo était aux anges. En une salle, les designers du yacht qui accueillait les candidats avaient réussit à réunir les deux plus grandes passions du jeune homme. Entre le splendide piano à queue qui décorait le fond de la pièce et la multitude d'ouvrages qui décorait la bibliothèque, il ne savait plus où donner de la tête. Il ne savait qu'essayer en premier. Il mourait d'envie de lire absolument tous les livres mis à leur disposition avant de devoir quitter le bateau, tout en sentant ses doigts qui le démangeaient. Certes, la bibliothèque comportait certainement plus de romans de Stephen King que de traductions de Poe par Baudelaire, mais au final, peu lui importait. Il adorait lire, tout simplement, alors il s'en contenterait. Finalement, s'éloignant comme à regret de la montagne de bouquins, il s'installa au piano. Cela faisait depuis son enfance qu'il jouait, et au final, il se révélait en toute modestie très doué. Il n'avait aucune disposition particulière, mais il aimait tellement jouer qu'il passait son temps à s'exercer. Aucune mélodie particulière ne lui venant à l'esprit, il improvisa une suite de notes, encore et encore, dérivant sur un morceau qu'il avait composé alors qu'il devait avoir seize ou dix-sept ans. L'entendre le fit sourire, il l'aimait bien, mais ne pouvait s'empêcher de la trouver bien innocente. (Coffre 9 : Bar lounge du Casino, l'Entracte) Concentré sur ses doigts qui virevoltaient sur les touches, il n'entendit pas une personne entrer à sa suite.

La veille, Rose avait prit le temps de visiter un peu le bateau, tant et si bien qu’elle arrivait à se repérer. Ainsi, lorsqu’elle décida de rejoindre la salle de détente pour voir quelles sortes de livres ils avaient bien pu agrémenter cette bibliothèque, elle trouva du premier coup. Certes, le bateau n’était pas non plus un labyrinthe mais tout de même, elle était presque fière d’elle lorsqu’elle ouvrit la porte et tomba sur la bonne pièce. Il ne lui fallut que quelques secondes pour s’apercevoir qu’elle n’était pas seule et observa le jeune musicien en silence. Il avait l’air concentré mais pas absorbé par ce qu’il faisait. Il semblait apprécier ce qu’il jouait ce qui était la preuve d’une mélodie parfaite ou d’une vanité extrême. Elle pencha pour une mélodie parfaite ayant une tendance facile à l’optimiste, il fallait aussi avouer qu’il était loin d’avoir l’air suffisant ou hautain. Non, il paraissait plus amical et ouvert, un peu fleur bleue sur les bords. Elle n’avait aucune idée de comment il se prénommait mais s’approcha tout de même de lui, reportant à plus tard son exploration livresque. Elle se plaça en face de lui et s’accouda légèrement au piano avant de lui sourire. Préférant attendre que les doigts du brun quittent les touches afin de ne pas le déranger, elle se lança ensuite. « Pianiste amateur ou professionnel ? » Elle avait toujours pensé que la pratique d’un instrument de manière intensive se ramenait presque à l’épouser corps et âme, à ne faire plus qu’un avec lui. Elle n’aurait su dire s’il jouait bien mais étais curieuse de savoir si c’était son métier ou simplement une façon de passer le temps.

La mélodie tirait doucement à sa fin. Ses doigts se firent plus lents, et enfin, la note finale résonna, en suspension. Pablo leva alors les yeux. Une jeune femme, brune, avenante, était appuyé sur le piano, le regardait. « Amateur, malheureusement. » Il n'avait pas la prétention de dire qu'il avait le niveau d'un professionnel, loin de là. Le jeune homme était beaucoup de chose, mais il n'était pas prétentieux. C'était un trait de caractère qu'il ne supportait pas, que ce soit chez lui ou chez les autres. Il prenait même un malin plaisir à remettre à leur place les personnes vaniteuses qu'il côtoyait. En particulier ses élèves. « Tu t'appelles Rosaly, c'est bien ça ? » En réalité, elle n'avait pas besoin de lui confirmer pour qu'il en soit sûr. Mais bon, il trouvait ça plutôt indélicat de passer outre ce passage ennuyeux qu'est la présentation. Ou plutôt, il ne voulait pas prendre le risque d'avoir l'air ennuyé en ne demandant pas aux autres de répéter leur prénom. « Je suis prof, j'ai l'habitude de retenir des prénoms » précisa-t-il en souriant.

Si la musique n’était que très rarement de mise chez elle, lorsqu’elle l’était, ses voisins s’en plaignaient régulièrement. N’écoutant que de la techno ou des musique avec quantité de basse, on pouvait dire qu’elle ressentait plus la musique qu’autre chose alors que ses voisins eux l’entendaient clairement. Elle s’en passait donc la plupart du temps ce qui lui allait très bien ainsi. Rose savait que la musique faisait partie intégrante de la vie de la plupart des gens mais la sienne était différente en de nombreux points donc cela ne faisait qu’une différence de plus. Pour le jeune homme, la musique semblait être une chose qui lui procurait de la joie. Ce qui était agréable à voir, il avait l’air apaisé presque et elle prenait plaisir à l’observer ainsi, presque à la dérobé puisqu’il ne lui avait jeté encore aucun regard. Lorsqu’il le fit, elle brisa le silence et lui lança un sourire à sa réponse. « Ton visage t’avais trahit. Tu n’avais pas l’air assez constipé pour être un professionnel. » Il fallait dire que les musiciens professionnels avaient le chic pour faire des têtes à vous donner mal aux reins tellement c’était drôle. Levant un sourcil d’étonnement, elle hocha la tête à l’entente de son prénom. Il était fort, elle n’avait pas même la moindre petite idée du prénom qu’il pouvait bien porter. Il fallait dire qu’elle ne pouvait être partout à la fois ou capter les conversations des autres, même à quelques mètres d’elle lorsqu’elle-même en avait déjà une. « Tu peux m’appeler Rose. Et je ne crois pas avoir eu vent de ton prénom, navrée. » Hochant la tête comprenant mieux pourquoi il avait si rapidement retenu son prénom, elle lui adressa un sourire. « Tu m’as fait peur pendant quelques secondes, je me suis dit que tu avais peut-être le pouvoir de lire dans mon esprit ou quelque chose comme ça ! » S’approchant de lui, elle prit place à ses côtés sur le petit banc. « Et tu enseignes quoi de beau monsieur le professeur ? »

Instinctivement, Pablo suivit la jeune brune du regard, lorsqu'elle se redressa pour s'approcher et, finalement, se glisser à côté de lui. Instinctivement toujours, il pivota légèrement vers elle. Plus agréable et plus pratique pour discuter. En l'écoutant parler, répondre à ses propres paroles, il avait l'air un peu dans la lune, comme rêveur. « Lire dans l'esprit des gens... ça doit être franchement nul comme pouvoir » rigola-t-il. À choisir, le jeune homme aurait sans doute opter pour un don du genre voler. Oui, voler. C'était beau, c'était poétique. Tandis que pouvoir lire dans les pensées des gens, il avait tendance à associer ça au fascisme. Vouloir savoir ce que les gens pensaient, jusqu'au moindre recoin de leur esprit, c'était les priver de liberté. C'était tout simplement dégoutant. Bref. « Va pour Rose. Et tu peux dire au vent que je suis Pablo. Mais tu peux m'appeler... Non, en fait, Pablo c'est bien. » Il secoua légèrement la tête. « J'enseigne, ou du moins j'essaye, la littérature. Tu vois, ce cours auquel tu as sûrement récupéré tes nuits lorsque t'avais trop fait la fête ? » Il ne put s'empêcher de sourire en songeant au nombre de craies qu'il avait déjà lancé à la figure d'élève inattentifs ou somnolents. Il pouvait comprendre que la littérature ne soit pas le cours le plus intéressant au monde, pour un ado. Ils avaient tous leurs matières adorées et détestées. Pour lui, la seconde avait été sans aucun doute possible les sciences. Chimie, biologie, physique. Les trois à la fois. Beurk. « Je suis sûr que ton boulot est mille fois mieux que d'essayer d'instruire une bande de gosses en manque de cul. » Il plaisantait, bien sûr. Il adorait ses élèves, et il savait parfaitement qu'aucun d'entre eux - parmi ceux qui regardaient l'émission, en tout cas - ne s'offusquerait de l'insulte. Ils l'insultaient autant que lui les insultait.

Leur nouvelle proximité aurait pu paraitre gênante mais elle ne l’était pas le moins du monde. Aucun des deux ne semblait d’humeur à draguer l’autre et c’était aussi bien comme ça, ce n’était pas parce qu’ils cherchaient l’amour qu’ils étaient obligés de se jeter les uns sur les autres comme des lapins. Même si comme tous les autres hommes à bord, il n’était pas repoussant, à croire qu’ils n’avaient choisi que des mannequins pour leur émission, elle devait être leur quota bonne action surement. Au lieu de prendre un thon ils ont prit une sourde, compromis comme un autre. « Je pense que tu dois apprendre des choses dont tu aurais préféré te passer, effectivement. » Lire dans les pensées n’était pas non plus le pouvoir qu’elle aimerait avoir, si tant est que ce soit possible. Voler non plus à vrai dire, elle n’y voyait qu’un intérêt minime, s’ils n’avaient pas d’ailes c’était bien pour une raison. Si elle pouvait choisir, elle aurait surement envisagé la métamorphose à volonté ou la capacité de lire l’avenir. Mais ce n’était pas comme si un génie allait apparaitre en lui demandant de faire trois vœux non plus … Elle lui adressa un sourire et tenta de mémoriser son prénom. « Je ne parle pas le vent mais je verrais ce que je peux faire, Pablo tout court ! » Humour régressif quand tu nous tiens … Sans même s’en rendre compte, elle trépigna sur son siège en lisant qu’il était professeur de littérature. « Tu rigoles, la littérature a toujours été un de mes cours favoris, j’étais toujours au premier rang et j’avais déjà lu tous les livres qu’ils nous imposaient. C’était ma classe préférée, avec le dessin. » C’était chouette de savoir que si elle avait envie de discuter du dernier bouquin qu’elle avait lu ou d’un auteur oublié elle pouvait venir le voir, cela promettait de longues discussions animées. « Ouah, je ne sais pas comment c’est dans vos écoles mais ce n’est pas comme ça chez nous. Et je suis paysagiste, je ne parle pas au vent mais aux plantes ! Je suis une amoureuse de la nature, je ne sais pas si je vais tenir sur ce bateau d’ailleurs, je vais passer mes journées dehors lors des escales. Enfin bref, tu enseignes dans quelle ville ? »