Je crois que j’ai enfin trouvé ma raison d’être sur ce bateau. Si, si, je suis parfaitement sérieuse. Je sais à quoi je sers. Je me sens utile. Pour la première fois de ma vie. C’était tellement évident depuis le début que je me demande pourquoi je ne l’ai pas remarqué avant. Ecouler les stocks de crème glacée à la noix de coco. C’est évident. Enfin, ça, et dormir. En plus, c’est bon, la crème glacée à la noix de coco. Bref. Je crois que ça se sent facilement, le fait que je m’ennuie légèrement sur ce bateau. Faut dire que y’a rien à faire ici. Juste à parler avec les autres, mais comme ils sont tous cons, ce n’est pas la peine. Oui, je suis toujours avec l’élimination de Cameron lundi soir. Pourtant, je ne suis pas bien conne, vous savez, je le sais bien que c’est le jeu, et que d’ici quelque semaine, quand on me parlera de lui, je serais « Cameron ? Qui ça ? ». Mais bon, ça fait quand même quelque chose, de voir quelqu’un avec qui vous êtes pas mal proche partir. C’est à cause de ces stupides candidats, qui ont pris des décisions stupides en sauvant des gens stupides. Ouais. J’ai bien songé à quelques vains mouvements de rebellions, comme de jeter toute la nourriture dans l’eau, et de faire pareil avec les matelas, les vêtements, tout ça, mais je me dis qu’après, on me jettera, moi, à l’eau. Et ce ne serait pas bien drôle pour ma pomme tout ça. Je disais donc que je m’ennuyais royalement depuis le départ de Cameron. En fait, j’ai décidé de passer une semaine d’insociable. Ouais. Ce sera moi, ma crème glacée, et ma couette. Et temporairement la table sur la terrasse où je suis allongée. Ma vie est tout à fait fascinante. Oh, doux jésus, quelqu’un arrive. Note personnel : emménager dans une cabine de toilettes pour être sûre de ne rencontrer aucune personne. « Si c’est pour la crème glacée qu’tu viens, tu peux repartir tout de suite, elle est à moi. » Pas prêteuse pour un sous. Mais on m’a déjà fait le coup, de piocher dans MON pot. Et après, ça en fait moins pour moi. Tss.

Dray trainait par là, enfin, il y trainait souvent sur cette terrasse, plus quasiment que dans sa cabine. En tête-à-tête avec les flots. Et son cigare régulièrement, ainsi qu'une bouteille de whisky. Son foie se vengera un jour, mais pas tout de suite. Aujourd'hui il avait décidé de laisser tout ca au salon, pour profiter en toute simplicité de la vue. Son plan était parfait, mais c'était sans compter sur la présence de Marilou, qui gisait sur une table de cette terrasse justement. Il se dirigea vers elle. « File-moi ça. » Le ton était incisif, mais son visage restait doux. Il s'assit sur un bord de la table accaparée par le corps de la demoiselle. « C'est pour ton bien, t'as envie de finir énorme en sortant d'ici ? Tellement que personne n'acceptera de coucher avec toi, hum ? » Il connaissait une fille comme ça, une certaine Aurélie, qui avait commencé bonnasse et finit en mode truie à force d'avoir vidé tout le garde-manger. Un vrai gâchis. « Tiens, on échange ? » Il lui tendit sa cigarette fumante, agitant la main pour qu'elle lui refile son pot de calories. Un vice contre un autre. « Tu crèveras d'un cancer du poumon, mais au moins tu seras canon jusqu'au bout. » Avouons que Marilou avait une silhouette parfaite, et que dix kilos de plus feraient tâches. Enfin, disons que les garçons arrêteront de se torde le cou en la regardant sortir de la piscine en maillot de bain. La scrutant un instant, il soupira en haussant les épaules nonchalamment. « Tu comptes tirer cette tronche toute la semaine ? » Ils étaient tous atteins pas le départ de Cameron, le premier « gros » départ de l'aventure. Même Dray qui était le premier à trouver ca pitoyable d'être touché de la sorte ; mais ca c'était avant de faire partie de Three Whiches. Maintenant, il savait qu'il pouvait se laisser abimer par ce genre de choses. Super. Pour autant, ils ne devaient pas s'enfermer dans la rancœur, les votants étaient des crétins, mais ils ne pouvaient rien y faire, hein ? Après tout, l'origine du mal avait été dégagé aussi, une sorte de justice, même si le joueur de poker n'avait rien contre Minnie. A part ses mauvais choix.

Mon début de ma semaine d’insociable tombe déjà à l’eau. Quoi que, je peux toujours partir en courant en criant « taaaaaaah bordel ». Mais j’aurai l’air ridicule. Je pense ouais. Vaut peut-être mieux rester sagement sur cette table. File-moi ça ? Comment ça, file-moi ça ? Il veut me prendre MA glace, c’est ça ? Il a des jambes. Il sait marcher. Il peut tout aussi bien aller se chercher la sienne. Non mais. Quel flemmard ce mec. Je lève les yeux vers lui. Non. Tu n’auras pas ma glace. Il sort un argument qui pourrait potentiellement me faire changer d’avis. Avouez que ce serait carrément la mort de ne plus pouvoir coucher pour cause d’obésité. Hum. Et il me propose sa cigarette en échange. Ça me va finalement. Je tends la main pour prendre sa cigarette et lui refile le pot. « T’as intérêt à m’fournir alors » au pire, je lui en prendrais plus ou moins discrètement s’il refuse, hein. Pas sûre qu’il ne s’en rende pas compte. Et je tire une taffe. Crever d’un cancer du poumon ? Ouais bon. On verra ça plus tard. On va dire que j’ai encore la vie devant moi avant de penser à tout ça hein. Enfin j’imagine. Peut-être que je vais crever demain en m’étouffant avec un petit pois. Mort glorieuse. Si je compte tirer cette tronche toute la semaine ? C’est-à-dire que j’avais prévu de me la jouer ermite total, donc techniquement, personne n’aurait vu cette fameuse tronche. Je lève les yeux vers lui. D’abord, elle est très bien, ma tronche du « bande de cons allez crever ». Un grand sourire se dessine rapidement sur mon visage. Sourire bref de quelques secondes histoire de dire « vas te faire foutre mon joli si je fais la gueule je fais la gueule ». Hum. Je crois que c’est préférable que je garde pour moi ce que je peux penser dans cet état-là. C’est un coup à se faire détester vous voyez. Piouu. Je ne pensais pas que j’étais capable de me mettre dans ces états là en m’inscrivant dans ce jeu vous savez. Un peu naïve, je voyais que les bons côtés de la chose. La vérité, c’est que je n’ai pas eu le temps de me lasser de Cameron qu’il part déjà. C’est trop tôt en fait. On n’a même pas baisé. Je me demande si on l’aurait fait, en fait. C’est plus la peine que je me pose la question, de toutes manières. Fais chier. En plus, c’est con. Je ne suis pas conne au point de croire que c’est si dramatique, non. Je sais très bien que d’ici quelques semaines, je l’aurai (sans doute) zappé. Et encore plus à ma sortie. Mais bon. J’en ai marre de réfléchir. Je vous le dis, je vais hiberner pour de bon. Bon allez. Bordel. J’ai horreur des gens qui font la tronche. Et j’ai pas pour habitude de la faire. C’est qu’ici, on n’a rien à foutre. Sauf supporter les autres. Ou boire. Ou manger. Ou hiberner. Forcément que c’est plus facile. « Bon. On fait quoi alors ? »

La patience acquise avec les années. A vingt ans, Dray aurait surement soupiré, levé les yeux au ciel, et tourné les talons. Dans le genre « je suis pas d'humeur donc je boude, donc je tire un tronche de six pieds de long et je suis d'une compagnie douteuse », Marilou était assez douée. Mais malheureusement il en fallait un peu plus pour faire fuir le garçon, qui ne bougea pas d'un centimètre. D'une car il était têtu, de deux car il se sentait investit du mission un brin impossible : empêcher le bateau de sombrer dans la déprime post-Cameron. Compliqué quand lui-même était blasé de ce départ. Mais puisqu'ils étaient encore là, dans l'aventure, ils se devaient de profiter un minimum, et pas seulement de profiter du garde-manger. La candidate accepta le deal, lui récupéra donc le pot de glace, qu'il déposa sur une chaise, sans y gouter. C'est que ca le ferait aussi un peu chier de ressembler à un tonneau en descendant du bateau, au moins la clope n'avait pas cet effet dévastateur sur le sex-appeal. D'ailleurs, il se demandait quel était l'accueil réservé aux sortants. Ils étaient surement jugés comme de simples patins disposés sur des présentoirs, une image vendue au plus offrant. Le yacht restait un cocon à l'abri de tout ce bordel, confortable et rassurant. Bref, sa main fouilla dans sa poche pour en sortir une seconde cigarette, maintenant qu'il avait refilé la sienne à Marilou. « Le sexe, argument infaillible. » Merveilleuse drogue, une des rares que l'on pouvait consommer sans modération. Maintenant qu'elle semblait un peu plus enclins à la discussion, Dray se hissa sur la table, pour finir par s'assoir en tailleur, déposant son paquet encore à moitié plein sur cette dite table afin qu'elle se serve quand bon lui semble, histoire de ne pas passer pour un distributeur de goudron. « On va faire un truc merveilleux, on va parler. » Ouais, sans alcool et toussa, pour une fois. « Le même principe qu'action ou vérité, sans la partie action. » Faut dire que sans alcool l'intérêt était moins important. « En parlant de sexe, puisque c'est ce qui fait tourner le bateau, quelles sont les personnes que tu mettrais bien dans ton lit -ou ailleurs, hein- avant que l'aventure se finisse ? » Curiosité mal placée, peut-être. La mauvaise habitude de poser les questions qui lui viennent, sans les bloquer de ses lèvres.