Noah

Une toute nouvelle semaine commençait et ma foi j'espérais que celle-ci se déroulerait un peu mieux que la précédente, du moins me concernant. Il fallait dire, aussi, que j'avais eu mon lot de critiques et de reproches la semaine passée. On ne m'avait pas beaucoup épargné et j'avais très vite compris que contrairement à beaucoup, j'étais loin, très loin d'être intéressant ou de donner envie que l'on me connaisse un peu mieux. Ma timidité y était certainement pour beaucoup, et je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même pour le coup. C'était bien moi qui ne cessait de rester dans mon coin, de me replier sur moi-même à la moindre occasion. La veille pourtant, lors du prime, j'avais tenté de mettre tout ça de côté le temps d'une mission collective mais j'avais bien senti que je n'avais pas été à ma place en me conduisant de la sorte. Cela m'aura au moins permis de remporter un baiser de la part de ma belle rousse et ça, ça n'était tout de même pas négligeable. Remis de mes émotions, j'avais cet après-midi pris la direction du cellier pour y dénicher quelque chose susceptible de ressembler à de la farine. Et oui, à croire que celle présente dans la cuisine avait disparu car elle était désormais introuvable. Étant pâtissier, je me voyais quand même mal faire sans farine. Alors que je cherchais frénétiquement sur les étagères de la petite pièce de la farine ou tout ce qui s'en rapprocherait, j'entendis la porte s'ouvrir soudainement. Sortant la tête des boites des conserves -où je risquais tout de même d'avoir du mal à y trouver de la farine, on est d'accord- je vis entrer un des nouveaux venus, un jeune homme au physique fort avantageux dont le nom m'échappait de nouveau. Ah bravo Dimitri, et dire que tu voulais épater la galerie en prétextant retenir les noms de tout le monde... C'était raté pour le coup. « Bon... Bonjour. Hum. Alors j'ai oublié ton... ton prénom, mais ce que je n'ai pas ou... oublié en revanche c'est que je n'ai pas eu... le temps de te souhaiter la bienvenue par... parmi nous hier soir. » En effet, j'avais omis cela mais comment m'en vouloir ? Avez-vous vu l'agitation qui avait fait rage tout le prime durant ? « Il faut m'excuser, je... tout ce chahut hier m'a... fait renoncé à mes bonnes manières. » Souhaiter la bienvenue à un nouveau venu en faisait partie, et j'avais failli à mon devoir. Honte à moi. Je fis un pas ou deux en direction du jeune homme, et lui tendit la main. « Di... Dimitri. » Désormais le garçon pouvait mettre un nom sur le type bégayant qui venait de l'aborder. Avait-il compris un traitre mot de tout ce que je venais de lui dire ? Rien n'était moins sur, mais on pouvait toujours y croire néanmoins.

Très sincèrement, Noah se plaisait déjà ici. Lui qui n'avait pourtant absolument pas l'habitude de la vie en communauté devait avouer que celle-ci ne lui déplaisait pas. Et pourtant, il était arrivé la veille au soir. A croire qu'il s'adaptait vite. Ou alors, c'est qu'il osait espérer que tout resterait aussi plaisant à l'avenir. Bon, d'accord, il est vrai qu'il masquait quelques petites appréhensions. Mais c'était bien normal, non ? Après tout, il ne connaissait personne ici, si ce n'est lui-même, et allait devoir vivre les prochains jours au sein d'un endroit qui lui était tout aussi inconnu. Alors oui, forcément, Noah appréhendait le déroulement de cette aventure. Ainsi donc, si il vous paraissait sûr de lui, ça n'était peut être qu'une sorte de façade. Il n'en montrait rien, mais Noah n'était pas tellement rassuré en ce jour. Pour autant, cela ne l'empêchait pas de vagabonder d'une pièce à l'autre, histoire de se familiariser un tant soit peu avec les lieux. Et lorsqu'il pénétra par le plus grand des hasards dans une petite pièce qu'ils devaient tous nommer "cellier", Noah tomba sur l'un de ses camarades. Il s'agissait d'un jeune homme qu'il avait remarqué au prime d'hier soir. Et pour cause : il bégayait. « Salut » annonça-t-il alors, lorsque le jeune homme le salua. Ainsi donc, il ne se rappelait plus de son prénom. Un sourire naquit alors sur les lèvres de Noah. « Tu es tout excusé » reprit-il. Il était bien inutile que Dimitri se tracasse à ce sujet, ou qu'il se reproche de ne pas avoir souhaité la bienvenue à Noah la veille. Ainsi, lorsqu'il lui tendit la main, Noah s'en saisit et la serra. « Moi c'est Noah. Et je suis enchanté de faire ta connaissance. » Les présentations faites, Noah récupéra sa main et jeta un coup d'œil autour de lui. Puis, il reporta son regard sur Dimitri. « Dis-moi, as-tu vu The King’s Speech ? » demanda-t-il soudainement, dans un sourire sincère. Décidément, c'était plus fort que lui, Noah ne pouvait pas s'empêcher de parler Cinéma. Ah la la.

Rien à faire. J'avais beau y mettre toute la volonté du monde et remuer autant que possible mes méninges, je ne parvenais plus à me souvenir du nom du jeune homme qui venait de faire son entrée dans le cellier tandis que j'y cherchais désespérément de la farine. Attention, avec moi un oubli de prénom pouvait très vite se transformer en une véritable affaire d'état. Heureusement pour moi, le jeune homme dont le prénom m'échappait encore totalement ne semblait pas décidé à m'en tenir rigueur. « Salut » répondit-il alors, avant de poursuivre « Tu es tout excusé » J'en vins presque à soupirer de soulagement. Je n'avais pas trop envie de me mettre à dos le nouveau venu, surtout qu'il était vachement mignon... Hum. Bref. Je lui avais énoncé mon nom et attendais maintenant qu'il en fasse de même de son côté. « Moi c'est Noah. Et je suis enchanté de faire ta connaissance. » Je me mis à sourire à Noah - tel était donc son nom - rétorquant à mon tour « Moi... moi de même Noah. » Une fois les présentations faites et maintenant que je pouvais mettre un nom sur ce joli minois, Noah reprit la parole. « Dis-moi, as-tu vu The King’s Speech ? » Essayait-il de me piéger ? J'avais cru comprendre samedi soir que Noah avait un goût très prononcé pour tout ce qui touchait au cinéma. Dommage, ça n'était franchement pas ma tasse de thé... Un peu gêné, je n'eus d'autre choix que d'exposer ma piètre connaissance cinématographique. « Heu... c'est-à-dire que... non. C'est... c'est quoi ? Un film ? » Sans doute oui, mais dans ce cas pourquoi en venait-il à m'en parler ? J'attendais maintenant de Noah qu'il éclaire un peu ma lanterne.

Est-ce que Noah en voulait à son camarade, qui se nommait donc Dimitri, d'avoir oublié son prénom ? Bien sûr que non. Il n'était pas rare qu'on ne se rappelle plus du prénom de Noah, sachez-le. Il faut dire qu'il était plutôt discret et solitaire de nature. Et puis, ici, il faisait véritablement office de nouveau venu, alors pas étonnant que ses camarades aient encore un peu de mal à se souvenir de lui, et surtout de son prénom. Ainsi donc, Noah excusait volontiers Dimitri, qui semblait s'être fait du mouron pour pas grand chose en somme. Noah lui assura ensuite qu'il était enchanté de faire sa connaissance, ce qui était tout à fait véridique, et Dimitri fit de même. Parfait. Les présentations étaient donc officiellement faites. Par la suite, et sans aucune transition, Noah évoqua The King's Speech. Forcément, ça tombait un peu comme un cheveu sur la soupe. Mais vous savez bien qu'il était bien difficile pour Noah de se passer d'évoquer quoi que ce soit en rapport avec le Cinéma. Ainsi donc, il chercha à savoir si son camarade avait vu le film en question. Visiblement pas. Parce qu'en plus, Dimitri lui demanda s'il s'agissait bien d'un film. « Non, c'est une spécialité culinaire hongroise » répondit-il alors, gardant dans un premier temps un air sérieux, puis laissant rapidement apparaitre un sourire amusé sur son visage. « C'est un film, oui. Il est sorti il y a un an et demi. » Au moins, Dimitri se coucherait moins bête ce soir. Oh, probablement qu'il se demandait pourquoi Noah avait bien pu évoquer ce film en particulier. Sans doute était-il temps de le lui dire. « Le héros de ce film, pardon, de ce chef d'œuvre est bègue » finit-il par annoncer, le regard planté dans celui de son camarade. Il osait maintenant espérer qu'il ne se méprendrait pas et qu'il n'irait pas s'imaginer qu'il s'agissait là d'une sorte de moquerie. Parce que ça n'en était évidemment pas une. Soyons clairs.

Me parler cinéma, c'était un peu comme me parler chinois... Je n'avais aucune connaissance dans le domaine et puis, très franchement, ça ne me passionnait pas plus que ça à vrai dire. Seulement j'avais cru comprendre que Noah était un cinéphile averti et que, par conséquent, le cinéma était un peu son principal centre d'intérêt ; centre d'intérêt qu'il tentait visiblement de placer dans chacune de ses conversations, comme la notre présentement. Il était question de The King's Speech, ce que j'avais instinctivement cru être un film. Seulement, les prochaines paroles de Noah semblaient me contredire là-dessus. « Non, c'est une spécialité culinaire hongroise » Sur le moment, je pris la réponse du jeune homme très au sérieux et rétorquai alors « Ah... J'aurais pour... pourtant juré que c'était un film. J'avais cru que tu... me parlerais de cinéma, mais... un sourire ayant pris place sur le visage de Noah, je compris que je venais de me faire avoir comme un bleu et que non, ça n'était de toute évidence pas un plat hongrois. Pffff ! Tu... tu plaisantais c'est ça ? Remarque la... la cuisine ça me... connait donc ça me paraissait lou... louche aussi ton truc. » En attendant, je venais une fois encore de me ridiculiser en beauté. « C'est un film, oui. Il est sorti il y a un an et demi. » J'acquiesçais les paroles du jeune homme d'un signe de la terre, manquant de rire face à mon énorme bourde et à la situation tout à fait ridicule à laquelle nous étions confrontés dans l'immédiat. Roh allez, le ridicule ne tue pas, parait-il... « Le héros de ce film, pardon, de ce chef d'œuvre est bègue » Enfin je comprenais pourquoi Noah avait fait référence à ce film là. Un héros bègue... bah laissez-moi vous dire que je n'avais rien d'un héros bègue, moi, contrairement à celui de son film. Néanmoins je prenais les paroles de Noah avec humour, persuadé qu'il ne cherchait aucunement à se moquer de moi. « Mouais. Je... j'espère au moins que ton film a... a fait de super recettes au box-office... hein. » Non parce que je refusais catégoriquement d'être comparé à un héros tiré d'un film sans succès. Il y avait des limites, tout de même. Blague à part, j'étais plutôt flatté de cette comparaison. Je n'avais pas toujours été bègue, et c'était selon les médecins un problème d'ordre psychologique que je pourrais vaincre un jour ou l'autre. Il semblait, aux vues du regard de Noah, que j'avais son soutien. En général j'étais assez doué pour percevoir les sentiments des gens à travers leurs yeux.

Noah et le Cinéma, c'était un peu comme Batman et Robin ... quelque chose de très fusionnel, disons. Il se savait capable d'en parler jour et nuit, sans aucune interruption, tant cela relevait d'une passion à ses yeux. Noah était tombé amoureux du Cinéma, comme il se plaisait si souvent à le dire. C'était un fait, il ne vivait que pour ça. Sa vie se résumait d'ailleurs au Cinéma, raison pour laquelle il avait très tôt souhaité en vivre. Pour le coup, son ambitieux projet de carrière était encore bien loin de réussir, mais il s'accrochait à son rêve comme Jack Dawson s'était accroché à cette fichue porte flottante, à la fin de Titanic. Espérons simplement que Noah ne connaisse pas la même fin que ce pauvre Jack. Quoi qu'il en soit, et alors qu'il avait jusqu'ici évoqué un film cher à son cœur, Noah s'était permis un fin trait d'humour. The King's Speech, une spécialité culinaire hongroise ? Absolument. Ou pas. En tout cas, son camarade sembla le croire, ce qui ne manqua pas de l'amuser. Puis, finalement, il réalisa que Noah l'avait bien eu. Ce dernier lui adressa alors un sourire désolé. Bah oui, il s'en voulait de l'avoir légèrement mené en bateau, même pour si peu. « Désolé, je ne voulais pas t'embarrasser » fit alors Noah, toujours ce même sourire accroché à ses lèvres. Que Dimitri ne se tracasse pas, le fait qu'il ait temporairement cru à la bêtise de Noah ne faisait pas de lui le crédule du siècle. Tout de même pas. Noah prit alors la peine de parler du film évoqué précédemment. Puis il en vint à évoquer le héros du dit film, un héros bègue. Bien évidemment, ça n'était aucunement une tentative pour embarrasser d'avantage son camarade. Loin de là. « Quelques centaine de millions de dollars de recettes aux États-Unis. Non, je crois qu'on peut dire que c'est un flop retentissant » nota Noah, bien évidemment avec humour, comme le trahissait son sourire amusé. Il reprit doucement son sérieux, et porta son regard sur Dimitri. « Dans le film, comme dans la réalité d'ailleurs, un orthophoniste vient en aide à George VI. Tu as essayé ce genre de méthodes ? » le questionna-t-il ensuite. « Si je suis trop indiscret, dis-le moi surtout. Ça ne me regarde pas, après tout. » Déranger était une chose que Noah dépréciait particulièrement, alors il préférait qu'on l'arrête avant d'avoir à le regretter par la suite.

« Désolé, je ne voulais pas t'embarrasser » Noah n'avait pas à s'excuser de quoi que ce soit, voyons. J'étais naïf, voilà tout. Parce que quand même, j'y avais cru moi à son histoire de spécialité Allemande... ou Tchèque... ou Hongroise. Le pâtissier et fin gourmet que j'étais n'y avait que du feu et n'avait à aucun moment flairé la plaisanterie de Noah. Par ailleurs celui-ci avait évoqué un certain film qui m'étais cependant inconnu. Pour plaisanter à mon tour, j'avais demandé si ce fameux film avait eu du succès ou s'il ne s'agissait là que d'un film que seul Noah connaissait et qui n'avait de célèbre que son nom. « Quelques centaine de millions de dollars de recettes aux États-Unis. Non, je crois qu'on peut dire que c'est un flop retentissant » Ah oui en effet, le plus gros flop de l'industrie cinématographique, c'était certain. Pour une fois, j'avais saisi l'ironie de Noah et j'en étais tout fier. Un grand sourire pris place sur mes lèvres tandis que je me fis un plaisir de lui répondre, sachant que cette fois-ci je ne passerais pas pour un crétin. « Wow. Si c'était pour... pour faire un film aussi barbant, autant ne... ne pas le sortir quoi. » Attendez, un héros bègue ?! Mais qui pouvait réellement s'intéresser à ça franchement ? « Dans le film, comme dans la réalité d'ailleurs, un orthophoniste vient en aide à George VI. Tu as essayé ce genre de méthodes ? » me demanda-t-il alors, pour ensuite continuer « Si je suis trop indiscret, dis-le moi surtout. Ça ne me regarde pas, après tout. » Certes je n'aimais pas parler de mon bégaiement car depuis quelques années celui-ci me gâchait littéralement la vie. Seulement je devais voir les choses en face, ou bien je parvenais à aller mieux dans ma tête, ou bien il me faudrait demander de l'aide pour en venir à bout. Une chose était certaine : Noah ne plaisantait plus désormais. « Non non t'es... t'es pas trop indiscret, je... en fait non, j'ai pas essayé cette... méthode-ci. Vois-tu je... je suis devenu bègue suite à un fort... choc psychologique. Les médecins m'ont... m'ont dit que ça passerait, qu'il fallait d'a... d'abord que je le veuille pour aller... mieux. Un... un orthophoniste ne pourra rien pour moi, du... du moins j'en doute. » J'appréciais le fait que derrière ce garçon drôle et farceur, se cachait en fait un jeune homme plein de bonnes intentions et compréhensif. La bonne impression que m'avait faite Noah ne me trompait pas.

Bien sûr que non, The King's Speech n'était aucunement une spécialité culinaire hongroise, mais bien un film récent. Pour autant, Dimitri avait visiblement cru Noah sur parole, ce qui avait un coté pour le moins surprenant, il fallait bien l'avouer. A vrai dire, il était plutôt rare que Noah rencontre des personnes aussi naïves, ou même crédules, que semblait l'être Dimitri. Mais était-ce une chose si dramatique que de croire aussi facilement à des choses pourtant absurdes ? Non, du moins, pas aux yeux de Noah. D'après lui, Dimitri avait une certaine innocence, qui lui rappelait le garçon qu'il avait été durant son enfance. Peut être bien qu'il était comme ça Dimitri, qu'il était en fait un grand enfant. Oui, peut être. Quoi qu'il en soit, Noah osait espérer qu'il n'avait pas trop embarrassé son camarade. Dites vous bien que ça n'avait absolument pas été son but. Et lorsque celui-ci chercha à savoir si le film évoqué depuis quelques minutes avait fait de bonnes recettes, Noah ne se priva pas pour le lui prouver. Plusieurs centaines de millions de dollars, c'était effectivement ce que l'on pouvait appeler de bonnes recettes. « Ce film n'est pas barbant, loin de là » fit Noah, suite aux paroles de Dimitri, tandis qu'un sourire bienfaiteur avait pris place sur ses lèvres. « Et je trouve plaisant d'avoir affaire à un héros bègue, à quelqu'un de déficient, plutôt qu'à quelqu'un de parfait ... de trop parfait. » Allez savoir pourquoi, les "anti-héros" avaient toujours subjugué Noah. Sans doute parce qu'il avait saisi toute l'imperfection du monde quelques années plus tôt, et sa propre imperfection par la même occasion, et qu'il trouvait agréable de pouvoir retrouver une certaine vraisemblance à travers le Cinéma, cet art qu'il aimait tant. « Tu parles d'un fort choc psychologique ... C'était un décès ? » lui demanda ensuite Noah, ayant encore une fois l'impression d'être particulièrement indiscret. « Pour le coup, j'en demande trop, je t'autorise à me réprimander. » Mais il fallait bien avouer que l'histoire de Dimitri le fascinait. Ce dernier venait alors de lui confier qu'il n'avait jamais eu recours aux services d'un orthophoniste. « J'espère que le temps jouera en ta faveur et finira par te débarrasser de ce bégaiement. Je me doute que ça ne doit pas être facile tous les jours. » Il ne prétendait pas pouvoir se mettre à la place de son camarade, bien entendu. Pour autant, il se croyait en mesure de deviner la difficulté de la vie de ce dernier.

Il suffit de me parler cinéma pour que d'un coup je sois totalement perdu. Je n'y connaissais rien, moi, au cinéma. Je regardais les films sans les comprendre, sans chercher à en saisir le sens profond ou les symboles parfois cachés à travers ceux-ci. Seulement j'avais en ce moment même devant moi un jeune cinéphile pour qui le cinéma n'avait visiblement aucun secret. Alors forcément, lorsqu'il en était venu à me parler d'un film dont je n'avais avant cela jamais entendu parler, je n'avais plus su quoi dire à par émettre un jugement sur ce film que je n'avais jamais vu. « Ce film n'est pas barbant, loin de là » rétorqua Noah, avant de poursuivre « Et je trouve plaisant d'avoir affaire à un héros bègue, à quelqu'un de déficient, plutôt qu'à quelqu'un de parfait ... de trop parfait. » Les héros qui ne mourraient jamais, c'était visiblement pas trop le truc de Noah. Je pouvais le comprendre ; moi aussi j'en avais marre de ces types physiquement irréprochables et qui survivaient à plusieurs attentats à la bombe et à de multiples balles en pleine poitrine. Par ailleurs, nous en étions venus à évoquer mon bégaiement et j'avais alors signifié à Noah que la cause de celui-ci résidait dans quelque chose qui m'avait profondément "choqué", il y a de ça quelques temps. « Tu parles d'un fort choc psychologique ... C'était un décès ? » dit-il alors, avant de poursuivre « Pour le coup, j'en demande trop, je t'autorise à me réprimander. » Je baissai les yeux. Je n'avais pas trop envie d'en parler. Pas qu'il ne me semblait pas être un bon confident, - il venait de me prouver qu'il en était un -, seulement je n'avais pas très envie de revenir là-dessus. Pas maintenant du moins. « Je... j'ai pas trop envie d'en... d'en parler. Mais ça n'était pas un... décès, non. » Même si l'idée de Noah ne me semblait pas idiote du tout, je doutais sincèrement qu'un orthophoniste puisse mettre un terme et venir à bout de mon bégaiement. « J'espère que le temps jouera en ta faveur et finira par te débarrasser de ce bégaiement. Je me doute que ça ne doit pas être facile tous les jours. » Oh oui, ça c'était certain... Ma vie était un calvaire et chaque jour je me levais avec en tête la même question : "vais-je enfin trouver mes mots aujourd'hui et terminer une phrase sans butter sur l'un d'eux ?". Cela me semblait trop utopique ça, alors je ne rêvais pas non plus. « Je... je l'espère moi aussi. Et... non, ça n'est vrai... vraiment pas facile tous les jours... » lui répondis-je, avant de planter mon regard dans le sien avec intensité. « Noah... mer... merci de te préoccuper de... de tout ça. T'es pas o... obligé, tu sais. » Il se souciait de ma vie, de mon bégaiement, et pourtant rien ne l'y obligeait. Non, Noah avait juste le cœur sur la main et comme moi il semblait toujours d'attaque pour aider son prochain. Il semblait un peu plus doué que je l'étais cependant, ou de meilleur conseil en tout cas.

Parler de Cinéma était une chose qu'appréciait naturellement Noah. Au moins autant qu'il appréciait le Cinéma lui même, disons. Il n'y pouvait rien, c'était chez lui une véritable passion, et comme tout le monde, il aimait évoquer ses passions. Pour autant, il restait bien conscient que tout le monde n'était pas nécessairement aussi mordu de Cinéma qu'il pouvait l'être. C'était d'ailleurs pour cela qu'il avait très peu d'amis. Dès qu'il discutait avec quelqu'un, Noah en venait à évoquer les films qu'il avait récemment vus, ceux qui à ses yeux étaient de purs chef d'œuvres, et allait même parfois jusqu'à parler de cinéastes fameux, de cérémonies en tous genres ... Il n'était ainsi pas rare qu'on lui fasse comprendre que ses sujets de conversation étaient bien limités, et généralement, cela n'aidait pas pour nouer des liens. Alors, Noah avait développé une incroyable tendance à la solitude, qui lui allait plutôt bien. Ici, il semblait utiliser le Cinéma, et un film bien particulier, pour toucher au problème majeur de Dimitri : son bégaiement. Mais d'ailleurs, qu'est-ce qui avait bien pu provoquer le dit bégaiement ? Un fort choc psychologique, selon son camarade. Naturellement, Noah avait pensé à un décès. Mais visiblement, ça n'était pas cela. Et, le moins que l'on puisse dire, c'est que Dimitri ne souhaitait pas tellement en parler. Et c'était compréhensible. « Je comprends » répondit-il alors, dans un fin sourire. Bien sûr qu'il comprenait que Dimitri ne souhaite pas évoquer d'avantage ce sujet qui était probablement douloureux pour lui. Bien sûr. Dimitri lui confirma ensuite que son problème ne lui rendait pas la vie facile, comme l'avait précédemment supposé Noah. Puis, son camarade le remercia. Il le remercia de se préoccuper de lui, lui disant qu'il n'était pas obligé de le faire. « Tu n'as pas à me remercier. S'il est vrai que je n'ai pas à m'en préoccuper, ça me fait plaisir de le faire. » Et c'était bien vrai. Converser avec Dimitri était plaisant, et son cas l'intéressait véritablement. « A mes yeux, tu es un jeune homme très brave, très fort. Tu as peut être tendance à te cacher derrière ton bégaiement, et on peut difficilement t'en blâmer. Mais je veux juste être sûr que tu saches que tu n'es pas qu'un bègue, que tu es bien plus que cela. » Okay, peut être bien qu'il le savait et que Noah parlait pour ne rien dire. Mais peut être pas. Alors, dans le doute ... « George VI du Royaume-Uni n'est pas uniquement connu parce qu'il souffrait d'un bégaiement qu'il a réussi à vaincre, mais aussi parce qu'il était un roi bon et concerné. » Pour le coup, il en revenait au film, ou plutôt, au personnage historique qui l'avait inspiré. Mais c'était utile, sachez-le.

« Je comprends » Que Noah se rassure, le fait que je n'eus pas franchement envie d'évoquer cet évènement qui m'avait traumatisé au point de causer chez moi un bégaiement que je me trainais maintenant depuis deux ans, ne signifiait pas que je ne le considérais pas comme étant digne de confiance ou autre. Je ne souhaitais juste pas ressasser ça tout de suite. Ça n'était ni le moment, ni le lieu à mes yeux. Par ailleurs Noah m'avait montré beaucoup d'intérêt et cela m'avait fait plaisir. Je n'avais pas l'habitude que l'on se soucie de moi comme le jeune homme l'avait fait, alors c'était tout naturellement que j'en étais venu à le remercier. Un merci qu'il n'avait pas volé. « Tu n'as pas à me remercier. S'il est vrai que je n'ai pas à m'en préoccuper, ça me fait plaisir de le faire. » répondit-il, avant d'ajouter « A mes yeux, tu es un jeune homme très brave, très fort. Tu as peut être tendance à te cacher derrière ton bégaiement, et on peut difficilement t'en blâmer. Mais je veux juste être sûr que tu saches que tu n'es pas qu'un bègue, que tu es bien plus que cela » pour finalement conclure « George VI du Royaume-Uni n'est pas uniquement connu parce qu'il souffrait d'un bégaiement qu'il a réussi à vaincre, mais aussi parce qu'il était un roi bon et concerné. » Ce que je retenais des paroles de Noah ? Et bien, qu'en fin de compte j'avais peut-être tord de me croire sans intérêt, inintéressant et incapable de retrouver l'amour ; au moins Noah s'était montré particulièrement rassurant, et bientôt un sourire vint étirer mes lèvres. « Wow. Je... je sais pas si je suis brave et fort, mais toi tu... t'es adorable. » Il n'y avait aucune raison bien particulière qui pouvait le conduire à me dire tant de choses gentilles, et pourtant il me les avait dites. Décidément, Noah se préoccupait beaucoup de son prochain, et c'était une très grande qualité à mes yeux. « Au... au risque de me répéter : merci Noah. » Bon allez. Le moins que je pouvais faire maintenant était de porter à mon tour un peu d'attention à Noah. Voilà pourquoi j'étais décidé à apprendre quelque chose le concernant, n'importe quoi. « Hum, sinon dis-moi... Ton... ton film fétiche, celui que tu as bien du re... regarder une centaine de fois, c'est lequel ? » On avait tous un film fétiche, non ? Enfin, moi je n'en avais pas vraiment. Mais il m'avait prouvé qu'il était un grand cinéphile malgré son jeune âge... alors tout cinéphile qui se respecte avait bien un film référence.

Bien sûr que Noah pouvait comprendre que Dimitri ne souhaite pas s'étendre sur l'évènement qui avait visiblement causé son bégaiement. Cela devait être quelque chose de douloureux à se remémorer, ce qui pouvait expliquer qu'il ne souhaite aucunement le faire. Et encore une fois, Noah pouvait le comprendre. Lui aussi avait par le passé vécu certaines choses douloureuses, qu'il n'aimait pas nécessairement évoqué dans le présent. Ainsi donc, que Dimitri ne souhaite pas en parler était tout à fait compréhensible à ses yeux, voilà pourquoi il n'insista pas. De toute manière, et puisque cela ne le regardait en fait pas le moins du monde, il ne se serait jamais permis de le faire. Non, jamais. Par la suite, Noah avait tenté une petite analyse de la situation, ou plutôt, du cas Dimitri. Ce jeune homme était bègue, mais aux yeux de Noah, il était bien plus que cela. Ou disons en tout cas qu'il n'était pas que cela. Déjà parce qu'il serait extrêmement réducteur de ne considérer Dimitri que comme un bègue, mais aussi parce qu'il avait à n'en point douter mille et unes qualités qui effaceraient sans difficulté sa maladie et le ferait paraitre, aux yeux des autres, comme quelqu'un chez qui l'on ne soupçonnerait aucun problème s'il ne s'agissait pas de quelque chose d'aussi flagrant. Alors, Noah s'exprima, lui faisant savoir qu'il était - à ses yeux - quelqu'un de fort, de brave. Et même, il se risqua à évoquer à nouveau George VI, alias le héros du film dont ils parlaient tout à l'heure. Et visiblement, son semblant de monologue plut à Dimitri, qui lui fit savoir qu'il le trouvait adorable. De telles paroles ne purent que faire sourire Noah, bien évidemment. « Je ne cherche pas à l'être, pourtant » répondit-il, dans un sourire sincère et un vague haussement d'épaules. Noah n'était pas quelqu'un de très sociable, mais parait-il qu'il savait écouter les gens et leur parler quelques fois. Peut être était-ce de cela dont voulait parler Dimitri, qui le remercia une nouvelle fois. « Et au risque de me répéter : tu n'as pas à me remercier » reprit Noah, tandis que son sourire devenait amusé. Par la suite, Dimitri voulut visiblement se renseigner à son sujet, et choisit pour cela le sujet qui ne pouvait évidemment que plaire à Noah : le Cinéma. Il cherchait donc à connaitre son film fétiche ? Tiens donc. « Mon dieu, c'est probablement la pire question que tu pouvais me poser ... » s'exclama-t-il, quasiment hilare, avant de reprendre « ... dans le sens où je suis amoureux de trois milliards de films. » Et c'était bien vrai. Peut être même que le nombre trois milliards était encore trop petit. « Je suis absolument fan de films comme Forrest Gump, La ligne verte, Il faut sauver le soldat Ryan, La vie est belle, Misery, Je suis une légende, Billy Elliot, Sixième sens, A la recherche du bonheur ou encore Les évadés ... » commença-t-il, comme s'il commençait la liste de tous les films par lesquels il avait été charmé ces vingt dernières années. « Mais si je ne devais en choisir qu'un, je pense que ce serait Le bal des vampires, de Roman Polanski. C'est un film surprenant, loin d'être idiot, que j'ai eu la chance de voir durant mon adolescence, plusieurs décennies après sa sortie ... C'est un film remarquable. » Voilà, Dimitri avait eu sa réponse. Peut être s'était-il endormi en l'attendant, mais au moins, elle était là. « Et toi, alors ? Il doit bien y avoir un film qui t'a particulièrement plu, non ? » Il pouvait comprendre que tout le monde ne soit pas aussi passionné que lui par le Cinéma, mais il ne pouvait concevoir que quelqu'un n'ait pas ne serait-ce qu'un film plaisant en mémoire. C'était tout simplement inconcevable, à ses yeux.

« Je ne cherche pas à l'être, pourtant » Mais si, Noah était un garçon absolument adorable. Il était compréhensif, attentif, généreux. Peu de jeunes hommes de son âge se préocupaient d'autrui comme Noah le faisait ici, avec moi, dans ce cellier. « Et au risque de me répéter : tu n'as pas à me remercier » Pourtant j'en ressentais réellement le besoin, comme si je lui devais quelque chose. Bon, si je n'avais pas à le remercier... alors j'allais m'abstenir de le faire une troisième fois. Cela aurait été la fois de trop, non ? Bref. Il m'avait ensuite tardé d'en apprendre un peu plus au sujet du jeune cinéphile, notamment concernant son film préféré. « Mon dieu, c'est probablement la pire question que tu pouvais me poser ... » répondit-il, avant de poursuivre « ... dans le sens où je suis amoureux de trois milliards de films. » Ah ça, je pouvais bien le saisir. C'était un peu comme s'il en était venu à me demander quelle pâtisserie je préférais faire... J'aurais été juste incapable de lui répondre. Pourtant Noah voulait bel et bien me donner une réponse, alors que très franchement j'aurais parfaitement compris le fait qu'il lui aurait été impossible de désigner un film plutôt qu'un autre. Altruiste, mais déterminé également, hm. « Je suis absolument fan de films comme Forrest Gump, La ligne verte, Il faut sauver le soldat Ryan, La vie est belle, Misery, Je suis une légende, Billy Elliot, Sixième sens, A la recherche du bonheur ou encore Les évadés ... » Oui d'accord, je n'en connaissais pas la moitié mais si il disait qu'il s'agissait de très beaux films, j'étais totalement prêt à le croire car le spécialiste, c'était quand même lui. Cependant, l'un des films qu'il venait de citer attira mon attention plus que les autres. « La... ligne verte... C'est adapté d'un ro... roman de Stephen King, je me trompe ? "The Green Mile"... Roh c'est... c'est juste mon roman favori ! » Oui, j'étais parvenu à tisser un lien entre cinéma et littérature, ma passion. Comme quoi, l'un n'allait peut-être pas sans l'autre en fin de compte. Bon, je l'avais interrompu, alors désormais je le laissai continuer. « Mais si je ne devais en choisir qu'un, je pense que ce serait Le bal des vampires, de Roman Polanski. C'est un film surprenant, loin d'être idiot, que j'ai eu la chance de voir durant mon adolescence, plusieurs décennies après sa sortie ... C'est un film remarquable. » Ah... Roman Polanmachintruc... cela me disait vaguement quelque chose. Je n'étais peut-être pas irrécupérable au sujet du cinéma, en fin de compte. « Le bal des... des vampires. De Roman Po... Polksi... Polkan... Hum. D'accord. Je dois dire que ta... culture cinématographique m'im... m'impressionne Noah. » Et j'étais on ne peut plus sincère. Puis ce fut à mon tour de répondre à cette même question. Si pour Noah il avait été difficile de ne donner qu'un film car le jeune homme en avait vu des milliers, c'était tout le contraire me concernant. J'en avais vu si peu... si peu... « Et toi, alors ? Il doit bien y avoir un film qui t'a particulièrement plu, non ? » Il s'était fait violence pour me répondre, alors je pouvais bien faire de même. Je pris donc un instant pour réfléchir, avant d'être finalement pris d'une illumination soudaine que je n'attendais plus. « Hum... J'ai... j'ai vu ou plutôt revu un film dernièrement, un... un film Allemand que tu dois sans doute connaitre d'a... d'ailleurs. Badgad Café. Une comédie dramatique qui m'a ma... marquée. Et c'est rare qu'un film me... marque de la sorte. » Et bien voilà, en faisant un peu travailler ma mémoire j'étais enfin parvenu à donner le nom d'un film qui m'avait particulièrement plu. Et quel film... Un chef d'œuvre, oui. Mais il était évident que Noah le connaissait ; c'était un classique du cinéma. Il en connaissait au moins la bande originale, comme tout le monde. « Ah ! » Je fus pris d'un sursaut et entrepris un mouvement de recul, avant de reporter mon attention sur Noah qui semblait un peu intrigué par ce cri que je venais de pousser. « Ne... ne t'en fais pas, j'ai... j'ai juste trouvé ce que je cherchais depuis de longues mi... minutes. De la farine. » Elle était bien cachée, mais j'avais quand même mis la main dessus. L'occasion de me souvenir que j'avais un gâteau à faire, moi. « Noah je... désolé faut que j'y aille. Je vais à la cuisine mais... n'hésites pas à y passer dans une petite heure, d'ici là je... j'aurais préparé un délicieux gâteau dont tu pourras me donner des... nouvelles. » Je fis donc quelques pas jusqu'à me trouver devant la porte que j'ouvris d'un mouvement de bras. Avant de quitter la petite pièce, je me tournai une dernière fois vers le jeune homme, en souriant. « J'ai... j'ai adoré discuter avec toi Noah. Vraiment. » Je quittai finalement la pièce, direction la cuisine. Une bonne heure de préparation durant laquelle j'allais mettre la main à la pâte m'attendait désormais.


Sujet terminé pour Dimitri.